L'avis de Bertrand Delanoë sur le travail du dimanche / Politique
"La proposition de loi sur le travail dominical a été adoptée par l'Assemblée nationale et le Sénat à une courte majorité.
On peut d'abord se poser la question même de l'opportunité d'une loi pour faire évoluer la pratique sur ce sujet. La situation actuelle est équilibrée, et il était possible, à cadre législatif constant, de l'aménager pour la rendre plus claire et plus protectrice pour les salariés : à Paris par exemple il y a déjà sept zones touristiques et je n'ai jamais fermé la porte à de possibles évolutions ciblées, comme le demandent d'ailleurs les chambres consulaires de la
capitale. C'est bien du côté du gouvernement que, dans ce débat, se trouvent l'idéologie et le sectarisme.
Ce texte pose trois problèmes fondamentaux:
- Une question de société, voire de civilisation. L'enjeu est de savoir si nous voulons une société qui réduit la vie à la consommation, ou une société qui laisse leur place à la culture, à l'intimité, à la spiritualité, tout simplement à la vie privée. Et aussi à la famille, aux enfants, pour lesquels cette nouvelle disposition aura des conséquences qui peuvent être
lourdes. Il n'existe aujourd'hui aucun dispositif pour assurer la garde des enfants le dimanche. Et 99,9% des professionnels de la petite enfance sont des femmes qui ont ellesmêmes des enfants.
La civilisation urbaine, ce sont aussi des rythmes différents. Nous ne voulons pas d'une ville qui ne ralentit jamais.
- Une question sociale et économique. La réponse du gouvernement à ces objections, c'est que tout se fera « sur la base du volontariat » et ce projet sera « bon pour la croissance et l'emploi ». Mais il faut être bien cynique pour laisser penser aux salariés qu'ils
pourront négocier des compensations salariales avantageuses quand les ouvertures du dimanche seront « de droit » dans les communes et les zones touristiques. Le repos dominical est une conquête sociale, qui protège les salariés, il doit être maintenu. De même, croit-on sincèrement que les habitants dépenseront « en plus » le dimanche ; ils dépenseront le dimanche ce qu'ils dépensaient une autre jour de semaine, ce qui ne créera
pas d'emplois.
- Une question démocratique. Jusqu'à présent, quand il s'agissait de créer une zone touristique nouvelle, Paris était traité comme les autres villes françaises, au sens où partout, cela se faisait sur proposition du conseil municipal, à Paris comme à Marseille, Lille ou Bordeaux.
Avec cette loi, il est prévu que Paris deviendra la seule ville dont les élus n'auront plus leur mot à dire. Le préfet décidera seul. Nous posons une question simple : de quel droit ? Les élus municipaux de Paris ne sont pas moins légitimes que ceux des autres villes, et doivent donc être consultés dans les mêmes conditions, en toute égalité.
Cette véritable régression constitue un retour à avant 1975, quand la capitale de la France était régie par le Préfet. Il s'agit ici du droit des Parisiens à être démocratiquement représentés, comme tous leurs compatriotes.
Je soutiens donc, au nom des Parisiens, les recours que les députés et les sénateurs socialistes entendent déposer devant le Conseil constitutionnel, pour que soit rétabli le principe d'égalité entre les citoyens, et entre les communes."
Bertrand Delanoë